Courts Noirs : Le cinéma en faveur de l’obscurité

Qu’y a-t-il de passionnant dans la notion de genre ? Sans doute que tous les films qui s’y rattache ont une importance, apportent une pierre à l’édifice. Il y a une continuité et des ruptures. Entre ces deux pôles se situe le plaisir du spectateur.

Le noir n’est pas une couleur. Le noir les absorbe toutes. Le noir est-il un genre ? Le noir, d’une certaine manière, les absorbe tous. Car dans le noir, tout est possible. Et c’est précisément cela qui attire tous les spectateurs dans les salles dites obscures : cette infinité d’éventualités. Alors, au cœur des possibles, essayons de ne pas nous perdre tout de suite. Même si le noir est fait pour ça.

Une histoire d’abord. Celle du cinéma. Le noir allemand, expressionnisme des années 1920. Puis le noir français, réaliste et poétique dans les années 1930. Et leur métissage nord-américain dans les années 1940 : le « film noir », en français dans le texte s’il vous plait. Et puis le néo-noir, plus tard, après, aujourd’hui encore.

« Yours Truly » d’Osbert Parker est une image de synthèse artisanale, faite à la main, de ce temps de la nuit qui triompha à Hollywood au même moment que la psychanalyse. Image par image, image après image, défilent la cohorte nocturne des femmes et des hommes prisonniers d’un labyrinthe de rues et d’appartements comme autant de sombres méandres d’un cerveau en mal de compréhension…

Car dans le noir, l’absurdité du monde se dévoile paradoxalement. « En cordée », dans le film de Matthieu Vigneau, des personnages progressent au cœur d’une forêt noire où il ne faut pas se lier à ses compagnons d’infortune au risque de se retrouver soi-même attaché à un arbre. Pourquoi ? C’est la question que l’on pose au noir sans que jamais il n’y réponde. Le noir est un lieu que nous traversons au moment où il est impossible de se mettre au diapason des autres.

Impossible de s’accorder dans le noir. Pas plus du répit que de la confiance. Le plan de « L’accordeur » d’Olivier Treiner, est donc bien incertain. Arroseur arrosé, celui qui laisse à penser qu’il vit dans le noir s’y trouve effectivement sans s’en douter. Au cinéma, c’est-à-dire dans le noir, encore et toujours, le regardeur est en danger, le spectateur n’est à l’abri de rien contrairement à ce qu’il croit…

Ainsi le noir est d’abord le lieu du cinéma, de la projection. Le noir de la salle de cinéma est l’écrin où resplendissent des images d’archives, comme autant de diamants noirs, minutieusement choisies par Arnaud Des Pallières pour nous raconter un crime authentique, le sombre destin de « Diane Wellington », jeune fille confrontée à l’obscurantisme quelque part dans le Dakota du sud.

Alors au fond, tout au fond, est-ce que noir rime vraiment avec polar ? Si les « courts noirs » nous présentent des personnages réunis par des actes pour le moins délictueux – trait syntaxique du genre policier – la triade archétypale constitutive du genre – l’agresseur, la victime et le défenseur – y est souvent mise à mal. Il est d’autant plus pertinent de la questionner, de la rechercher d’un film à l’autre, des profondeurs de la piscine de « Garden party » de Gabriel Grapperon, Victor Caire, Théophile, Dufresne, Vincent Bayoux, Florian Babikian, et Lucas Navarro à la grande surface d’« Avant que de tout perdre » de Xavier Legrand.

Films noirs et non policiers. Des enquêtes ? D’une certaine façon mais pas d’une façon certaine. Des liens de causes à effets ? Peut-être. Des personnages. Avant tout. Des personnages plongés dans l’obscurité à ces moments clés de nos vies où la mécanique du récit disparaît au profit de l’être humain en prise directe avec sa condition.

Gilles Berger, enseignant à l’UCA.